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breve fiscale
 
ÉDITORIAL

« … La révolution numérique était en train de bâtir brique par brique le rêve millénaire de toutes les dictatures : des citoyens sans vie privée, qui renonçaient d'eux-mémes à leur liberté ... » Citation de Bernard Minier.

 

Partout, il est question de destruction créatrice, de disrupture, de déconstruction ; je ne suis pas venu vous faire le coup du « c’était mieux avant », car on n’évite pas l’avenir. Mais s’il y a bien un sujet dont on ne parle quasiment jamais, sinon entre initiés, c’est bien de l’exposition à de nouveaux risques du fait de l’évolution du périmètre de notre responsabilité civile dans un monde numérique où les repères changent plus vite que les contrats d’assurances.

La question préliminaire est donc :

Pourquoi la révolution du « data » est-elle inéluctable ?


Pour comprendre, commençons par le début.
Peut-être est-ce à cause de l’angoisse de sa propre finitude, toujours est-il que l’homme a toujours été à la recherche d’une forme de transcendance qui résonnerait comme la promesse d’une « bonne » vie éternelle après sa mort.

Toujours ? Non, car depuis le siècle des Lumières, l’homme s’est progressivement affranchi de toutes les croyances et notamment de celles qui lui garantiraient une certaine forme de paradis dans l’au-delà : grâce aux progrès de la science, de la philosophie, mais aussi maintenant grâce à la révolution numérique ; ces progrès ne sont évidemment pas critiquables en soi puisqu’il s’agit d’une véritable émancipation.

C’est donc désormais en lui-même que l’homme cherche la transcendance. Cette nouvelle voie pourrait alors bien être le transhumanisme, c’est-à-dire l’amélioration de l’être humain par un accroissement de ses capacités naturelles ; elle ne va pas sans la maîtrise de la « data », laquelle ne va pas sans les NBIC, la blockchain et autres ubérisations pour ne parler que des concepts les plus courants.

Or, le transhumanisme, l’amélioration de l’homme et de sa condition ne sont ni plus ni moins que le prolongement de la philosophie des Lumières ; et la déstructuration de l’ordre de notre monde n’est ni plus ni moins que la conséquence de la mise en place de l’ère numérique.

Ces phénomènes sont donc inexorablement liés.

 

Doit-on pour autant y adhérer sans restriction ?


Les plus éclairés des philosophes nous alertent sur les dangers de cette évolution qui pourrait être la dernière si on n’y prend pas garde ; ils se réfèrent à la mythologie car déjà les Grecs – ceux de l’Antiquité, qui n’étaient pas encore sottement occupés à gérer leurs dettes souveraines – savaient réfléchir à l’endroit ; ils avaient compris que les Dieux étaient farouchement indisposés par le funeste spectacle des hommes qui se prenaient pour eux ; ils avaient même nommé ce désordre : l’hybris...


Et que dire, plus récemment, de la légende de Victor Frankenstein, version « vintage » du transhumanisme ?


Pour maîtriser le phénomène, on exhorte à la régulation, mais on se demande bien qui pourrait jouer ce rôle dans le monde tel qu’il se dessine ! Pour en revenir à nos cabinets, on a un exemple magnifique de cet emballement débridé : le célèbre « FEC ».


C’est un modèle d’opacité en matière de responsabilité civile :

Qui est responsable en cas de dysfonctionnement ?


L’état qui base toute sa stratégie sur un dispositif qu’il externalise sur les éditeurs de logiciels ? les a-t-il audités, référencés, autorisés ? comment a-t-il assumé sa fonction régalienne ? Les éditeurs de logiciels ? comment sont-ils eux-mêmes assurés ? Quelles clauses limitatives de responsabilité ont-ils ou vont-ils insérer dans leurs contrats pour ne pas avoir à payer les rehaussements fiscaux de tout le pays, ce qui est au demeurant impossible ? Restent les experts-comptables : je veux solennellement dénoncer ici devant vous deux dérives : les attestations de complaisance et la recherche du bouc émissaire. Jacques Attali nous l’avait dit à Milan il y a quelques années à l’occasion d’un congrès d’un célèbre éditeur :

“Vous serez les boucs émissaires !”

Notez que depuis, on évite d’inviter ceux qui réfléchissent librement .


Certes, le sous-jacent était différent, mais la logique est toujours la même : si nos clients sont redressés – et ils le seront – sur la base d’un FEC défaillant, c’est évidemment à nous et à nous seuls qu’ils demanderont des comptes ; alors que personne, sinon quelques confrères qui se comptent sur les doigts d’une seule main, ne sait réellement valider un FEC dans ses composantes techniques ; nous savons l’éditer et rien de plus.
C’est d’autant plus inquiétant que pleuvent les attestations de confrères de bonne foi qui attestent, par exemple pour satisfaire les obligations des OGA, que les FEC sont conformes alors qu’ils devraient se borner à n’attester que ce qu’ils savent : qu’ils ont reçu une assurance de l’éditeur à ce sujet ; un point c’est tout.
C’est d’ailleurs exactement ce que dit un BOFiP passé inaperçu cet été alors que les mêmes éditeurs de logiciels n’ont pourtant pas encore modifié le document des OGA en conséquence …

Mais plus généralement, je veux conclure sur le point le plus important qui est précisément celui des attestations.


Car en effet, on ne compte plus les sollicitations dont nous faisons quotidiennement l’objet pour délivrer des attestations pouvant parfois devenir « coupables » ; ces sollicitations émanent souvent d’acteurs réglementés soucieux de réduire leur responsabilité au détriment de la nôtre, ou tout simplement démunis face à leurs clients qu’ils ne savent pas toujours comment les assister...

La difficulté est ici que si nous n’y prenons pas garde, nous pouvons être amenés, sous la double pression du client et du tiers, à rédiger des attestations qui vont certes faciliter la vie de leur utilisateur final, mais au prix de la prise d’un risque non maîtrisé si nous ne nous contentons pas d’énoncer des réalités dont nous pouvons justifier que nous les avons contrôlées au lieu d’en tirer des extrapolations de pure complaisance.

C’est le cas, par exemple, pour des attestations de conformité pour laquelle nous n’avons pas la compétence (FEC), mais ce peut être aussi le cas, si nous n’y prenons pas garde, pour des attestations de valeur, de perte de chiffre d’affaires.

Rappelons ici que, tout commenous n’établissons pas les comptes annuels mais que nous assistons le chef d’entreprise dans l’établissement de ses comptes,nous pouvons – et devons – nous prononcer sur la cohérence des hypothèses, de la méthode de calcul, de l’analyse du contexte …/… qui ont abouti à l’approche de l’agrégat sur lequel porte notre attestation ; nous donnons un avis sur le résultat final, mais rarement sur le résultat final lui-même.
Pour plus de précisions, reportez-vous sans modération à la NP 4400 si justement dénommée « examen d’informations sur la base de procédures convenues », aux exemples de lettres de missions et de rapports correspondants et vous pourrez alors répondre en toute sécurité à la demande de vos clients en assumant la responsabilité qui est la vôtre et en laissant aux autres professionnels la responsabilité qui doit demeurer la leur.

Je vous souhaite à tous une belle et longue route dans ce monde complexe mais ô combien passionnant !

 
INFORES : Dignité, Solidarité, Confraternité !
Philippe BOSSERDET - Président