RETOUR AU SOMMAIRE
 
la demission interdite ou vivement recommandee
 
 
LA DÉMISSION INTERDITE OU VIVEMENT RECOMMANDÉE


La démission est la véritable ligne de partage entre la mission légale du commissaire aux comptes qui doit s'accomplir sur toute la période de l'engagement souscrit, afin d'éviter toute tentation de fuite devant des faits éventuellement délictueux qui seraient à révéler, et à l'inverse la mission de l'expert-comptable qui n’a lui, au contraire de l’obligation de révélation du commissaire aux comptes, que le devoir de se taire, mais qui doit savoir se désolidariser discrètement.


C'est toujours à partir de la même supposition « vous ne pouviez pas ignorer ce qui se passait sous vos yeux » que le premier sera coupable d'avoir démissionné et le second d’avoir tardé à le faire.
Ainsi un juge, heureusement du Tribunal civil, a écrit parfaitement l’interprétation de la doctrine :

 

« Il est constant que Monsieur P. a donné sa démission à compter du 1er février 2006 par une lettre non motivée. Il n’est pas contestable que cette façon de procéder est contraire à l’article 19 du Code de déontologie dans sa rédaction résultant du décret du 16 novembre 2005. Ce texte, qui définit de façon plus restrictive les causes possibles de démission, était incontestablement en vigueur lors de cette démission… Et il est pour le moins surprenant de la part d’un commissaire aux comptes, dont il est légitime d’attendre une autre rigueur dans l’application du droit, d’invoquer « l’indulgence » au motif du peu d’ancienneté de cette règle.
A défaut de motivation dans sa lettre de démission, Monsieur P. l’explique dans une note de travail, où il expose les risques « qui lui posent de plus en plus de questions » dans l’exécution de sa mission.
Il y pointe notamment le « culte du secret » caractérisé par la difficulté à obtenir la communication des informations nécessaires, l’interdiction de circulariser auprès des clients voire auprès des banques et des fournisseurs, ainsi que « ses grandes interrogations sur le périmètre de consolidation », ce qui est à rapprocher de l’existence de factures douteuses établies manuellement entre les différentes entités du groupe T.
Cette note démontre que Monsieur P. avait mis le doigt sur différentes anomalies du fonctionnement comptable de la SA T., mais a préféré résilier sa mission plutôt que de tenter d’approfondir ces points ou encore de formuler à tout le moins des réserves.
Il a, par cette attitude, contribué au maintien de l’opacité qui a permis la poursuite du système frauduleux. »


C’est d’abord l’occasion de faire remarquer que tout client est susceptible de basculer à tout moment vers la fraude dès lors qu’il pourrait penser que c’est le seul moyen qui lui reste pour passer ce qu’il espère n’être qu’un creux de vague.

Dans ce jeu à qui perd gagne, les seuls qui ne gagneront rien mais risquent tout sont ceux qui l’entourent.
La démission peut, comme nous l’avons vu, concrétiser ce risque et le commissaire aux comptes, pour se défendre de sa démission qui révélerait soit un simple manquement à son devoir ou pire, une faute plus ou moins consciente, trouve dans le texte de l'article 19 l'échappatoire d'avoir démissionné « pour des motifs légitimes » dont ce texte essaye de donner quelques pistes.

Il y a d'abord les évidences, la cessation d'activité ou le problème de santé, et ensuite, de manière plus générale, les difficultés ou la survenance d'événements objectivement ou subjectivement obstacles à la continuation de la mission.
Mais surtout il ne peut garder cela pour lui car si c'est dans son dossier qu'il range les éléments qui l'ont conduit à cette décision, il doit néanmoins avertir le H3C de sa démission et donc permettre l’appréciation par celui-ci de ses « motifs légitimes ».
Ce qui est une sécurité pour lui.

Evidemment cela peut conduire à une remarque cinglante lorsque le H3C fait remarquer qu’il n’y a aucun « motif légitime » à démissionner pour devenir l’expert-comptable de la société (Avis n°2011-22).
La situation de l'expert-comptable est tout simplement contraire. S’il y a eu fraude, après coup elles paraissent toujours évidentes, et là c’est son absence de démission qui sera en question.
Nous retrouvons les « motifs justes et raisonnables » dans l’article 156 du décret de 2012 qui concerne les experts-comptables mais cette fois-ci c’est bien pour lui dire que si normalement il faut aller au terme du contrat, il faut néanmoins l’interrompre s’il ne peut plus être exercé, par exemple si le client ne fournit plus, ou pire, incomplètement, les pièces.
Il est clair que l'expert-comptable qui se voit opposer un refus à ses demandes de remises de pièces nécessaires à l'exécution de sa mission, doit y mettre un terme (Cass. 1re civ., 17 déc. 1996, n° 94-14.585 : JurisData n° 1996-004964).


Bien évidemment, il doit prévenir et veiller à ce que le client puisse soit régulariser soit se trouver un autre expert-comptable à qui il faudra éventuellement dire de se procurer auprès du client la lettre motivée de résiliation.

Il a pu être jugé que celui qui n’avait pas réitéré son désir de rupture dans les formes et le délai prévus par le contrat n’était néanmoins pas tenu de faire sa mission sur l’exercice suivant et que c’était l’intention initiale de rupture qui comptait : « Cette rupture moyennant préavis de huit mois avant la fin de l’exercice en cours, motivée par la perte de confiance, ne s’analyse ni en un trouble manifestement illicite ni en un dommage imminent, ce qui n’est d’ailleurs pas soutenu, alors même que la correspondance des parties attesta manifestement leur défiance mutuelle… »
(CA Paris 6 juillet 2017, confirmation d’une ordonnance de référé du Tribunal de commerce).


La perte de confiance peut résulter de ce qui a conduit à une déclaration de soupçon auprès de Tracfin. Il est évident que la situation est inconfortable. Mais non seulement ni le Code monétaire et financier ni la norme anti-blanchiment n’imposent la rupture de la mission après une déclaration de soupçon mais elle serait même antinomique avec le fait qu’une telle déclaration ne doit pas être divulguée. Autrement dit, celui qui estimera ne plus pouvoir assumer la position se devra de trouver poliment d’autres explications pour partir après l’exécution du délai de préavis contractuel.


Par contre, il y a des circonstances où l'article 157 ne laisse lui plus le choix : il faut impérativement partir en cas de perte d'indépendance notamment en raison d'un conflit d'intérêts.
Là encore sur cette notion de conflit d'intérêts les deux professions se distinguent puisque chacun sait que le moindre mélange d'intérêt avec la clientèle est totalement prohibé pour la profession de commissaire aux comptes, alors que le 5ème alinéa de l'article 22 de l'ordonnance ne prohibe pour les experts-comptables que la possession directement ou indirectement « d'intérêts substantiels ». Certes il est mieux qu'il n'y en ait point mais puisque cela est envisagé par le texte, c’est quand même bien que la possibilité existe.


Au-delà des conflits d'intérêts dus à des participations, il est quelquefois entendu un autre mobile : l’expert-comptable aurait, pour « garder sa clientèle », manqué de fermeté jusqu'à en oublier de l'abandonner au sort qu'elle s'était elle-même choisi.
Même si les juges ont su rappeler qu’aucun mobile ne fait en lui-même le délit ni la complicité de celui-ci, il a quand même fallu s’en défendre jusque devant une cour d’appel qui a inversé un jugement de condamnation et qu'il a fallu convaincre de la raison personnelle réelle de l'expert-comptable, accaparé par ailleurs, qui l'avait empêché de penser à démissionner plus tôt :


« Attendu que le prévenu n’a pas contesté avoir eu connaissance dès le mois de mai 1993 et jusqu’à la fin de sa mission en novembre 1993, de l’existence d’un système de chèques de cavalerie mis en place par B. … Attendu que la complicité ne peut résulter que d’un acte antérieur ou concomitant au fait principal ; qu’il doit s’agir de fait positif caractérisant l’élément matériel de l’infraction, une simple présence aux côtés du délinquant étant insuffisante pour établir la complicité ».
(07/03/2000 CA Montpellier 3ème ch. Correctionnelle).


La routine, la cécité professionnelle, un état de sidération, la malignité voire la perversité de certains clients, peuvent conduire à rester trop longtemps à leurs côtés.
Le risque, ne serait-ce que d'avoir à subir une procédure, ce n'est pas de démissionner mais de ne pas démissionner.


 
 
 
 
Maxime DELHOMME - Avocat au Barreau de Paris