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Maxime DELHOMME - Avocat au Barreau de Paris
 
 
PRESCRIPTION ET FORCLUSION
DE QUOI ET JUSQU'À QUAND PEUT-ON ÊTRE REDEVABLE ?


L'action en justice peut avoir pour objectif, par une peine intimidante, de dissuader de commettre des infractions aux valeurs sociales : c'est le pénal, auquel les victimes pourront se joindre sous la condition restrictive que leur préjudice soit direct et personnel.
S'il ne s'agit que de réparer une négligence, un travail mal fait, la procédure civile permettra d'en évaluer les conséquences. Enfin, pour les mauvaises pratiques professionnelles portant atteinte à la renommée de tous, les sanctions disciplinaires rappelleront au règlement.



Pour chacune de ces actions il y a des particularités procédurales, la façon d'y apporter les preuves, l'intensité que celles-ci doivent avoir, mais toutes sont soumises à une toise qui est celle du temps. Il faut savoir pendant quelle durée elles peuvent encore être entreprises.

Évidemment, pour compliquer les choses, les juristes ont inventé des mots : la forclusion, c'est quand il n'y a plus de droit à agir, un peu comme la déchéance pour déclaration tardive du sinistre auprès de l'assureur ; et la prescription, c'est quand il n'y a plus matière à agir, la mauvaise action n'existant même plus.


À chaque faute son temps

La prescription, ce délai après lequel la faute est oubliée, a classiquement pour justification qu'au bout d'un certain temps il est difficile de recueillir les preuves, par exemple les témoignages en défense, et aussi que les dénonciations perdent de leur légitimité à être tardives. Faut-il encore qu'il ait pu être connu qu'il y avait matière à se plaindre. Et puis la notion du temps est bien relative, en elle-même et d'une matière à l'autre, comme l'a illustré le législateur qui, sans grand débat, a, en 2008, réduit de moitié la prescription civile de droit commun, maintenant de 5 ans (2224 Civ.), et depuis le 1er avril 2017 a doublé la prescription en matière pénale, maintenant portée à 6 ans pour les délits dont la prescription n'était pas encore acquise (8 CPP).

À chaque situation la loi fixe donc le délai ou même quelquefois l'oublie, ainsi dans la troisième typologie de fautes, la faute disciplinaire. Si un texte fixe désormais à 6 ans la prescription pour le commissaire aux comptes (824-4 Com.), l'absence de texte pour l'expert-comptable rend de fait cette faute imprescriptible.


À partir de quand le temps se compte-t-il ?

La réforme de la prescription pénale a intégré dans le code (9-1 CPP) ce qui n'était jusque-là que jurisprudence :
« le délai de prescription de l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder 12 années révolues pour les délits … ».

Le principe reste bien évidemment la computation à partir du jour de l'acte délictueux mais il est aussi compréhensible que si la victime d'un vol peut s'apercevoir de sa perte, celui qui a fait un dépôt ne peut pas aller vérifier tous les jours que le gardien ne l'a pas détourné. S'il faut pouvoir faire confiance, il est aussi nécessaire d'être attentif. N'importe quel artifice ne fera pas un obstacle insurmontable. Ainsi, pour cet abus de confiance particulier qu'est l'abus de biens sociaux, les juges avaient fait partir le délai de la prescription du jour où, dans les comptes, il y avait visiblement matière à s'interroger. Certains délits de conséquence comme le recel ou le blanchiment peuvent, eux, être poursuivis longtemps car l'action délictuelle continue pendant tout le temps de la possession des fonds.

En matière civile, la réforme de 2008 a également instauré un point de départ glissant
« à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », c'est-à-dire tant que l'ignorance des faits ne peut être considérée comme blâmable. Là encore, la question est de savoir quand survient le sinistre et la jurisprudence évolue aussi en la matière. Ainsi, pour les experts-comptables, des décisions récentes semblent retarder par exemple le sinistre fiscal non plus à la notification du redressement1 ou même à sa mise en recouvrement2, mais à l'issue des recours exercés devant la juridiction administrative.


De quelques délais particuliers

Dans la variété des textes nous intéresse le délai légèrement allongé applicable à la fraude fiscale (230 LPF). Mais surtout le texte de prescription abrégée à 3 ans des fautes civiles commises par les administrateurs de société (L.225-254 Com.), qui s'applique aussi à la responsabilité des commissaires aux comptes (L.822-18 Com.), avec l'avantage pour eux de la computation d'un délai précis puisque courant à partir de chaque rapport de certification3. Quant à la dissimulation pour repousser le point de départ,
« …les insuffisances de diligences et de contrôles, à les supposer même caractérisées ne sauraient à elles seules constituer une dissimulation, laquelle implique la volonté du commissaire aux comptes de cacher des faits dont il a connaissance par la certification des comptes4 ».

Ce qui permet aussi de rappeler que ce délai ne vaut que pour les missions de certification, les autres missions possibles relevant du régime général de 5 ans.

Et puis, dans la diversité des prescriptions spéciales, rappelons qu'il n'y a que deux ans pour demander la garantie de son assureur (L.114-1 C. des assurances).


Le temps suspendu

Chaque acte de poursuite, donc d'enquête, interrompt la prescription pénale qui reprend pour une période identique, comme renouvelée. Au civil le délai ne reprend qu'à la décision du juge sollicité et est même suspendu s'il a décidé d'une expertise5 (2239 Civ.). Mais contrairement à l'interruption, cette suspension ne s'appliquera pas au délai distinct de forclusion, les deux pouvant faire l'objet d'un aménagement contractuel.


La loi peut être celle des parties

Bien sûr le pénal est hors contrat, mais au civil le contrat est la loi des parties. Pour la prescription, la loi a prévu que le contrat ne pouvait pas la réduire à moins d'un an (2254 Civ.) mais comme elle est muette sur la forclusion, la validité d'une telle clause de caducité de l'action à trois mois en l'espèce a été récemment reconnue pour la profession d'expert-comptable6. Ces deux délais ne se confondent pas dans leur terminologie mais le délai pour agir est alors drastiquement court.

Nous avons vu que la loi n'hésite pas en la matière à faire des changements et il est envisageable que la protection du public incite le législateur à unifier les régimes en alignant la forclusion sur la prescription. Les rédacteurs des contrats, (les lettres de mission), pourraient, en ne limitant pas trop les délais d'irresponsabilité, anticiper ce qui est peut-être une mesure de bon sens vis-à-vis de leur clientèle à qui ils doivent quand même la protection du titre grâce auquel elle est venue les voir et leur gardera sa confiance.



1 Cass. Com. 5 juillet 2016, n° 14-28.882 & Cass. Com. 6 décembre 2017, n°16-23.972
2 Cass. Com. 6 décembre 2017, n° 16-18.788
3 Cass. Com. 27 sept. 2017 n° 16-17725
4 Cass. Com. 15 sept. 2009 n° 08-18876
5 Cass. Civ. 3 3 juin 2015, n° 14-15.796
6 Cass. Com. 30 mars 2016, n° 14-24.874




Voir le tableau récapitulatif des délais suivant la nature des infractions.

 
 
 
 
Maxime DELHOMME - Avocat au Barreau de Paris