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expert comptable comptes courants
 
L'EXPERT-COMPTABLE FACE AUX COMPTES COURANTS D'ASSOCIÉS DÉBITEURS

L’expert-comptable est souvent embarrassé face à la découverte, chez son client, d’un compte courant d’associés débiteurs.

 

Cette position est en effet expressément interdite :

 

« à peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelques forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert en compte courant ou autrement, ainsi que de se faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Cette interdiction s’applique aux représentants légaux des personnes morales associées. »


Plus grave, la chambre criminelle, par une analyse un peu courte, voit dans un compte courant d’associé débiteur un abus de biens sociaux ou une présentation de comptes non fidèle.


Une telle vue révèle une erreur et une dérive inquiétantes en droit pénal des affaires.


L’idée que toute violation d’une disposition civile ou commerciale doit donner lieu à une sanction pénale témoigne d’un glissement et d’une de paresse intellectuelle : la qualification pénale, exercice essentiel, structurant du droit, est escamotée.


La critique s’adresse aussi bien à l’abus de biens sociaux qu’à la présentation ou publication de comptes non fidèles.


Face à cette jurisprudence, imposer la démission de l’expert-comptable dès qu’un compte courant d’associés se trouve en position débitrice nous paraît excessif. C’est d’autant plus vrai qu’on oublie que le professionnel du chiffre reste un garde-fou, et que l’expérience témoigne que démissionner c’est, certes, se protéger mais c’est aussi, et surtout, abandonner la société à son dirigeant dont le comportement ne fera que s’aggraver.


Le professionnel sérieux devra donc, en conscience, suivre de près la situation en se posant les bonnes questions.

  • La créance de la société apparaît-elle clairement dans l'actif de la société ?

Il convient là de s’assurer que la créance est imputée correctement dans les comptes annuels. Même si le délit ne s’étend pas à elle il sera prudent de vérifier la cohérence avec la liasse fiscale. Nous pensons ici à la rubrique « Autres » du poste créance, 074, renvoyant au 199, « Dont compte courant d’associés débiteurs ».


Cette précaution, élémentaire d’un point de vue comptable, ne devrait pas poser question au regard du droit pénal, car le délit de présentation de comptes non fidèles ne devrait pas s’appliquer lorsque les documents de synthèse ne sont pas affectés par l’inscription comptable.


Toutefois la chambre criminelle fait fi de ce principe et si la doctrine doit réagir par la critique le praticien n’a d’autres choix que de s’adapter.

  • Le débiteur est-il solvable et entend-il rembourser ?

Dans la négative, il faudra évidemment solliciter de la direction une dépréciation de cette créance. En veillant, autant que faire se peut, à ce que tous les observateurs en soient informés grâce à une mention en annexe.


Il est important de se couvrir contre le grief consistant à affirmer que la dépréciation a permis de faire disparaître la créance !

De telles précautions devraient constituer un sérieux argument face à la complicité de comptes non fidèles, car précisément : les comptes sont fidèles. Certes ils révèlent une position critiquable mais, justement, c’est là tout leur mérite ; leur lecture permet bien de prendre connaissance de la situation financière de l’entreprise.


Reste alors la qualification d’abus de biens sociaux.


Tout d’abord, il convient de relever que cette qualification, dans le cadre d’une complicité imputée à un expert-comptable, est moins éloignée du délit de comptes non fidèles qu’il n’y paraît. C’est qu’en effet, bien souvent, la complicité alléguée tient dans une occultation. Il est reproché au professionnel du chiffre d’être complice par dissimulation là où il aurait dû exiger que tout transparaisse dans les comptes.


Pourtant, on comprendra aisément que les précautions précitées devraient permettre d’éviter cette seconde qualification.


Si les comptes sont fidèles, il ne peut y avoir dissimulation et donc complicité d’abus de biens sociaux.


Ceux qui se passionnent pour cette question pourront opérer de féconds rapprochements avec la notion d’occultation en matière de prescription pénale.
Selon une jurisprudence intéressante, le point de départ de la prescription du délit d’abus de biens sociaux est déterminé par la date de sa révélation. Autrement dit, si l’infraction est révélée par les comptes, le délai court, et à l’issue de 3 ans de présentation, il est prescrit.


Si des fluctuations et ambiguïtés existent, il nous semble que cela ne fait aucun doute si les comptes courants apparaissent comme débiteurs dans les conditions précitées, car le lecteur des documents comptables aura bien été en capacité de déceler l’anomalie et, le cas échéant, de réagir.


Ensuite et surtout, s’agissant d’un abus de biens sociaux, l’expert-comptable n’étant, au pire, coupable que d’une abstention, il ne saurait être complice. C’est d’autant plus vrai qu’intervenant forcément après les prélèvements litigieux, il n’a évidemment pu y apporter son concours.


Toutefois, et pour balayer les résistances d’éventuels esprits chagrins, nous pouvons aller plus loin en s’interrogeant sur l’intérêt social lui-même.

  • La société souffre-t-elle d’un préjudice ?

Il va sans dire que l’analyse ne sera pas la même selon que des tensions de trésorerie existent ou non.


Si la société est mise en difficulté, et que le dirigeant reste sans réaction face à l’expert-comptable inquiet, il faudra songer sérieusement à la démission.


En revanche, si le dirigeant obtempère, la conservation du dossier ne nous paraît pas une hérésie.


Évidemment, le puriste objectera qu’un abus de biens sociaux, régularisé ou non, demeure punissable et que la question du préjudice est étrangère au droit pénal mais, là encore, la richesse de la pratique invite à plus de nuance que la froide rigueur théorique.


C’est d’autant plus vrai que, s’agissant du commissaire aux comptes qui, contrairement à l’expert-comptable est tenu à une obligation de révélation de faits délictueux, les pratiques que son autorité ordinale lui recommande, annexées à la circulaire du 18 avril 2014 du Ministère de la justice, autorise cette souplesse.


En effet, si le principe veut que tous les faits délictueux soient révélés sans que le commissaire aux comptes ne s’attache à leur qualification pénale ni à l’intention de leur auteur, une exception est posée :


« Cependant le commissaire aux comptes ne peut totalement se désintéresser du caractère intentionnel ou non des faits révélés, dans la mesure où le caractère manifestement non intentionnel d’une simple irrégularité ou inexactitude le dispense de son obligation de révélation ».


Puis, s’il fallait être plus précis :


« En ce qui concerne la régularisation éventuelle du fait délictueux, une régularisation effective et spontanée par l’auteur des faits dans les meilleurs délais et dans des conditions qui évitent tout préjudice pour l’entité ou pour un tiers, constitue un élément d’appréciation fortement indicatif, du caractère intentionnel des faits relevés ».


C’est dire que, dans ces circonstances, on ne saurait faire grief au commissaire aux comptes de s’être abstenu de révéler les faits prétendument délictueux.


Dès lors, comment accepter cette abstention du commissaire aux comptes et condamner l’expert-comptable qui, face aux mêmes faits, n’aurait pas démissionné ?


La transposition à notre problématique nous paraît s’imposer et doit conduire à refouler des esprits l’idée, un peu facile, selon laquelle l’expert-comptable diligent doit démissionner face à la moindre anomalie.


Après avoir levé ces obstacles, et vaincu les puristes, reste l’argument des rigoristes :

  • La société, même en excédent de trésorerie, n’a-t-elle pas forcément subi un préjudice puisqu’elle aurait pu placer ses fonds et qu’elle en a été privée ?

Outre que la somme escomptée est souvent assez ridicule, cet argument butte sur une préconisation simple : le dirigeant remboursera, outre le capital, le montant qui aurait pu être espéré par la société si elle avait pu bénéficier d’un placement.


Le civiliste sera sans doute troublé par cette rémunération d’un contrat réputé nul aux termes du code de commerce mais le pénaliste, même le plus tatillon, devrait, lui, revenir à la raison et s’incliner, ce qui rassurera l’expert-comptable.


 
Julien GASBAOUI - Avocat au Barreau de Paris