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sinistre en responsabilité civile professionnelle
 
 
L’EXERCICE DE LA PROFESSION D'EXPERT-COMPTABLE
Au regard de l'évolution du droit civil concrétisé par une réforme du code.


Par Ordonnance du 10 février 2016, la partie du Code civil relative au droit des contrats a été réformée.1


Une reformulation des règles relatives à la responsabilité extra-contractuelle est également prévue mais le rythme du législateur est imprévisible2. Mais dans ce qui existe maintenant du fait de cette réforme, nous avons déjà ce que doit ou peut être un contrat, c’est-à-dire la matière de notre responsabilité vis-à-vis des clients et aussi, donc, ce que les tiers, les créanciers de nos clients par exemple, pourraient trouver préjudiciable dans ce que nous n’aurions pas fait au titre de notre contrat.


Cela, c’est pour les rapports contractuels des professionnels avec leur clientèle. Il y a un autre champ d’investigation qui est le conseil qu’il faut savoir donner aux clients qui, eux aussi, font des contrats avec leurs propres partenaires. Être vigilant sur ce qui est fondamental quant à la pérennité de leurs entreprises est de bon conseil donc de bon commerce.

 

Pour illustrer cette nouvelle façon de voir les choses, le mieux est de prendre le contrat que nous sommes censés connaître le mieux : le nôtre, celui que nous appelons « lettre de mission », car il ne nous oblige à aucun résultat mais simplement à nos meilleurs efforts.


1. Avant de conclure il a toujours été honnête de dire ce qu’il y avait à savoir.


Maintenant ajouté à la stipulation que les contrats doivent être non seulement exécutés mais aussi « négociés […] de bonne foi »3, il est très clairement précisé que « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer […]»4.


Le client qui serait tenté de ne pas dire les difficultés qu’il connaît déjà est donc maintenant littéralement prévenu que sa réticence, voire son mensonge par omission, peut être à ses frais.


Mais cela n'exonérera pas le professionnel de devoir montrer, ce qui est différent de démontrer, qu’il a pris le temps de recueillir les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
L’avant-contrat est donc maintenant un objet identifié dans la loi.


Au-delà du classique contentieux de nullité, sur le fondement du dol5, une fois le contrat conclu, l’incidence d’avoir maintenant exprimé ce devoir de loyauté pourrait être de voir indemniser de longs pourparlers auxquels il aurait été mis fin à la suite de la découverte d’une information déterminante non dévoilée.


Cela concernera rarement les experts-comptables eux-mêmes, les délais de négociation étant courts, mais par contre, ils peuvent voir cette situation se produire chez leurs clients et ils seront donc de bon conseil pour défendre les intérêts de ceux-ci.


2. L’honnêteté c’est aussi d’être lisible et équilibré.


Il y a les contrats qui sont négociés. Mais également ceux qui sont proposés à la signature. Autrement dit, comme le dit le texte actuel, « Le contrat d’adhésion [qui] est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties »6.


Ce qui ressemble un peu quand même aux lettres de mission.


La conséquence en est maintenant précisée : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite »7.


Mais cela ne supprime pas l’intégralité du contrat puisque « L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation »8.


Regardons nos exemples.


3. Une clause peut être légitime dans son principe mais exagérée.


Les clauses limitatives de prescription sont toujours envisageables. L’article 2254 du Code civil9 n’a pas été atteint par la réforme. La prescription reste donc aménageable, mais toujours insusceptible d’être réduite à moins d’un an. Et son aménagement nécessite un accord non équivoque, ou, pour reprendre les termes de la Cour d’appel de Paris : « […] être stipulée de manière claire et précise et […] faire l’objet d’une acceptation explicite de celui à qui elle est opposée »10.


Le juge pourrait-il néanmoins qualifier le contrat d’adhésion pour trouver la clause déséquilibrée ?


Ce n’est plus exclu. Il est imaginable qu’un délai d’un an lui paraîtrait par exemple trop court.


Il en sera de même des clauses qui limiteraient exagérément la responsabilité en elle-même en rappelant quand même qu’elles n’ont jamais pu supprimer « […] l’obligation essentielle du débiteur  […] »11.


La protection de la clientèle n’est pas ici illégitime, mais cette intervention du juge dans le contrat lui-même peut aussi devenir avantageuse pour le professionnel.


4. L'adaptation aux circonstances est naturelle.


C’est une vraie novation que d’avoir introduit un mécanisme de prise en compte de l’imprévision, avec un pouvoir ultime de révision du contrat par le juge : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant… A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe »12.


Ainsi, en cas d’augmentation imprévisible du volume de travail – avec par exemple une multiplication du nombre d’établissements du client sur une période d’un an –, le juge pourrait maintenant intervenir si le client refuse toute augmentation du forfait initial.


Il pourrait néanmoins toujours décider que c’était un défaut de ne pas prévoir une clause de révision. Ce nouveau texte est l’occasion d’y repenser.


Et pour les contrats que font les clients eux-mêmes avec leurs partenaires, cette innovation est bien plus prégnante, car ils sont souvent engagés sur de bien plus longues périodes.


5. Tout n'est pas forcément écrit.


La lettre de mission est une obligation purement déontologique, les experts-comptables se sont obligés d’eux-mêmes à en faire.


L’intérêt de l’écrit c’est de faire preuve, mais l’accord peut exister sans l’écrit qui n’est pas une condition de sa validité. Ainsi, celui qui travaille sans avoir fait d’écrit, et qui est payé, a bien un contrat mais c’est le périmètre de ses obligations qu’il aura plus de mal à voir préciser.


Le consensualisme est ainsi rappelé13, et la tacite reconduction a son texte : « lorsqu’à l’expiration du terme d’un contrat conclu à durée déterminée, les contractants continuent d’en exécuter les obligations, il y a tacite reconduction. Celle-ci produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat »14.
Écrit ou non, l’interprétation est toujours à rechercher « d’après la commune intention des parties » mais un nouveau standard apparaît : « Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation »15.


Le voilà notre honnête homme.


6. Et s’il ne l’est pas, honnête.


Et s’il ne l’est pas, honnête, par exemple s’il ne paie pas le travail commandé, il est tout à fait envisageable de ne pas être obligé de le lui livrer. Ce qui ne doit pas être confondu avec le droit éventuel qui existe par ailleurs, dit de rétention, sur ce que le client a confié comme pièces pour l’exécution de la prestation et que l’on prend ainsi en gage. Ainsi, pour la non livraison, « une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci était exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave »16.


Et même, cette faculté de soulever une exception d’inexécution peut se faire par anticipation, « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son co-contractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de son inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais »17.


En conclusion


La loi exprime maintenant ce qui peut apparaître comme des solutions de bon sens, ce qui est après tout normal puisque ce sont des solutions que la jurisprudence avait eu l’occasion de dire à ceux qui manquaient autant de ce bon sens que de loyauté.

 
 
1 Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
2 Avant-projet de Loi, Réforme de la responsabilité civile, Consultation lancée le 29 avril 2016. Disponible ici
3 Article 1104 du Code civil.
4 Article 1112-1 du Code civil.
5 Article 1137 du Code civil.
6 Article 1110 Alinéa 2 du Code civil.
7 Article 1171 Alinéa 1er du Code civil.
 
8 Article 1171 Alinéa 2 du Code civil.
9 Article 2254 du Code civil.
10 Cour d’appel de Paris, Pôle 8, Chambre 5, 13 octobre 2015, n°14/22142.
11 Article 1170 du Code civil.
12 Article 1195 du Code civil.
13 Article 1109 du Code civil.
14 Article 1215 du Code civil.
15 Article 1188 du Code civil.
16 Article 1219 du Code civil.
17 Article 1220 du Code civil.
 
Maxime DELHOMME - Avocat au Barreau de Paris