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Maxime DELHOMME
 
 
LES DÉTOURNEMENTS PAR SALARIÉ,
HISTOIRES DE TRAHISON

Tout le monde peut se faire avoir, mais ceux qui ont connu cette révélation d’avoir été dupé par un collaborateur de leur cabinet (cas heureusement statistiquement rare) ou par le salarié d’un client (une douzaine de cas par an, pour les experts-comptables suivis par le contrat groupe) ont ressenti un trouble très émotionnel du fait de cette trahison :
sidération d’abord, vexation ensuite.

 

Le client, premier trahi dans sa confiance parfois par un presque intime, regarde les professionnels autour de lui en se disant qu’ils lui ont aussi manqué de loyauté en ne montant pas une garde suffisante.


L’évaluation initiale du risque n’est pas très évidente parce que, si après coup tout paraît simple, c’est la restitution de la malignité du procédé qui permet d’apprécier le pourcentage de perte de la chance qu’il y aurait pu avoir à mettre fin plus tôt à l’hémorragie.


De plus, souvent, même dans de petites associations, secteur sensible, mais aussi dans de petites entreprises les prélèvements clandestins, parce que réalisés sur de longues périodes, sont au final assez importants. Les petits clients peuvent d’autant plus faire des gros sinistres que c’est chez eux que le salarié prévaricateur cumule le plus de fonctions et est le moins contrôlé.


Même s’il y a une très grande différence entre la réclamation initiale et ce qui sera peut-être finalement payé, toute la période de la procédure n’est pas facile à vivre, surtout lorsque le montant de la garantie d’assurance n’est pas, comme souvent, à la hauteur. L’accident est rare mais il est mieux qu’il soit correctement couvert, ce qui d’ailleurs peut permettre à l’assureur d’examiner la pertinence d’une transaction.

Sauf à diffuser un manuel dont nous serions bientôt victimes, il n’est pas possible de décrire par le menu tous les procédés de fraude déjà connus, dont l’inventivité croît proportionnellement aux contrôles. La prévention relèvera donc pour cette partie de la tradition orale et de l’apprentissage confraternel. Car, pour le professionnel comme pour ses collaborateurs, ce doit être un réflexe de s’interroger et de se renseigner lorsqu’apparaît une situation inhabituelle.

Par contre il est possible, dans l’ordre chronologique des interventions, de donner les repères qui permettront de réduire le risque.

 

Être prévenant, c’est penser à proposer plus.
L’avant contrat qui repose sur l’analyse des besoins est essentiel. Si le contrôle interne est problématique, voire structurellement défaillant, il faut savoir le diagnostiquer explicitement et proposer d’emblée des missions complémentaires. Ceci permettra de mieux faire valoir le rappel écrit dans la lettre de mission que l’exécution normale de celle-ci n’a pas pour objet la détection des fraudes.

Et être prévenant pour soi, c’est réduire l’exposition aux risques, toujours dans la lettre de mission, par des clauses limitant dans le temps la faculté de poursuite. Sous certaines conditions, à commencer par l’explication loyale de leur contenu, les délais de prescription et de forclusion sont efficaces (voir Lettre INFORES n° 28).

Ensuite, c’est la prévention par le travail.
Nous n’avons qu’une obligation de moyens, mais l’obligation de pouvoir prouver ceux que l’on a utilisés. Un dossier documenté des efforts fournis doit permettre de répondre : savoir pourquoi telle méthode (tests, sondages, …) et tel échantillon ont été retenus et jugés adaptés au risque identifié ; et en quoi les résultats obtenus sont apparus satisfaisants, sans nécessiter d’aller plus loin. Car souvent il faudra en convaincre l’expert judiciaire commis par le juge pour l’éclairer sur les « règles de l’art ».

À ce titre les rapprochements bancaires, technique dont les rudiments sont compris par les juges, ne peuvent être déficients. Il faut aussi se rappeler que les fraudeurs savent se faire oublier dans celui de fin d’année et que quelques contrôles aléatoires sont toujours les bienvenus. Ce n’est pas parce qu’ils débouchent généralement sur rien qu’il faut se dispenser d’en réaliser certains, chaque année ou par rotation : au moins il pourra être montré qu’ils existaient, qu’ils variaient et parfois qu’ils ont pu servir.

L’examen de ce qui fut mis en contrepartie des prélèvements indus sera bien évidemment l’autre question de ce genre de contentieux. Dans la plupart des cas puisqu’il y a vol il y aura une enquête pénale (car en l’absence de poursuite du voleur, comment justifier la poursuite de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes ?) et un sursis avant le jugement définitif sera nécessaire pour savoir ce que l’abuseur de confiance a à dire sur ses ruses.
Ce sera souvent la meilleure défense pour le professionnel, car s’il peut être établi que la sophistication des méthodes ou la dilution des malversations permettaient à leur auteur de « passer sous les radars », cela ne pourra être reproché à la tour de contrôle. Et s’il ressort des déclarations du fraudeur que « c’était vraiment trop facile », alors l’employeur aura sa part de responsabilité à ne pas l’avoir surveillé.

 

Il faut retenir que ces affaires lorsqu’elles surgissent sont difficiles à circonscrire. Elles requièrent plus que d’autres un accompagnement adapté. Surtout lorsque le client se fait pressant.

 

Maxime DELHOMME
Avocat au Barreau de Paris